
–
–
–
Le jardin en fleurs
dont j’ai rêvé tout l’hiver
je m’y promène ce matin.
Jean-Hugues Malineau (1945-2017)
Aimer tout aimer
même le froid et ses morsures
même l’heure qui sépare
et les déserts du chagrin
Aimer l’arbre fendu
la fontaine sans eau
et le visage blessé
où ne vont plus les songes
Aimer les mains qu’on n’a plus
et la caresse abandonnée
et la saison obscure
que n’éveille plus l’oiseau
Croyez-moi
je sais de quoi je parle
j’ai le coeur léger comme vous
il faut aimer à en brûler
même l’instant sans joie
qui serre le coeur
qui serre le coeur
Extrait de La nuit respire de Jean-Pierre Siméon,
éditions du Cheyne (Poèmes pour grandir), 1998.
Las de tous ceux qui viennent avec des mots,
des mots, mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots mais un langage.
Tomas Tranströmer (né en 1931)
Baltiques, traduit du suédois par Jacques Outin. – Gallimard (Poésie).
« Nous ferons des pas merveilleux, l’homme fera des pas merveilleux s’il redescend aux choses (comme il faut redescendre aux mots pour exprimer les choses convenablement) et s’applique à les étudier et à les exprimer en faisant confiance à la fois à son oeil, à sa raison et à son intuition, sans prévention qui l’empêche de suivre les nouveautés qu’elles contiennent – et sachant les considérer dans leur essence comme dans leur détail. Mais il faut en même temps qu’il les refasse dans le logos à partir des matériaux du logos, c’est-à-dire de la parole.
Alors seulement sa connaissance, ses découvertes seront solides, non fugitives, non fugaces.
Exprimées en termes logiques, qui sont les seuls termes humains, elles lui seront alors acquises, il pourra en profiter.
Il aura accru non seulement ses lumières, mais son pouvoir sur le monde.
Il aura progressé vers la joie et le bonheur non seulement pour lui, mais pour tous. »
Francis Ponge (1899-1988)
Extrait des « Notes prises pour un oiseau », in La rage de l’expression (Gallimard, 1976).
Je glisse loin du temps
Qui s’accumule
Et m’évade des jours multipliés
Je dévie de cette durée
Qui s’imprime
Et m’écarte de cette peau
Que les ans ont minée.
Andrée Chédid (1920-2011)
Extrait d’un texte inédit cité sur le site du Printemps des poètes
Qui décoiffe la mer
avec des mains qu’on ne voit pas ?
Qui roule sa chanson
dans la gorge des torrents ?
Qui n’est jamais si lourd
que quand un oiseau meurt ?
Le vent la pierre et le silence
Qui est ronde comme une joue
et plus lourde que la peine ?
Qui habille le monde
quand il se fait bien tard ?
Qui souffle chaque soir
la bougie du soleil ?
La pierre le silence et le vent
Extrait de A l’aube du buisson,
éd. Cheyne (coll. Poèmes pour grandir)
Pour chacun une bouche deux yeux
deux mains et deux jambes
Rien ne ressemble plus à un homme
qu’un autre homme
Alors
entre la bouche qui blesse
et la bouche qui console
entre les yeux qui condamnent
et les yeux qui éclairent
entre les mains qui donnent
et les mains qui dépouillent
entre les pas sans trace
et les pas qui nous guident
où est la différence
la mystérieuse différence ?
Extrait de La nuit respire (Cheyne éditeur).